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Sujet de réflexion : comment mettre en scène l'Histoire ?

  • Adonide
  • 27 mai 2019
  • 6 min de lecture

Ivo van Hove, dans une interview[1] donnée à la suite de la création de son spectacle Les Damnésdéclarait, : « Nous utilisons des images historiques "mythiques" pour trois moments très précis qui figurent dans le scénario : l’incendie du Reichstag, les autodafés, Dachau. Je dis "mythiques" parce que l’incendie de livres, ou d’un parlement, c’est quelque chose qui dépasse la réalité anecdotique de l’histoire. C’est ce que je souhaite faire comprendre en ayant recours à ces images. Montrer le seul fait historique ne m’intéresse pas. » Aujourd’hui, de plus en plus de pièces, par leur thème et/ou leur mise en scène, parlent de l’Histoire. On peut donc s’interroger sur les raisons de ce choix et comment il est mis en œuvre.


Il y a plusieurs raisons qui poussent les metteurs en scène à vouloir mettre en scène l’Histoire.

Tout d’abord, cela permet aux spectateurs d’apprendre ce qu’il s’est passé d’une manière active, autrement que dans un livre. L’on peut être divertit grâce à la mise en scène, c’est-à-dire, grâce aux décors, à la musique, au jeu... En outre, l’on a, par ce biais, un autre point de vue sur le personnage, qui devient, d’ailleurs, réel. On le voit exister, parler, agir. L’Histoire devient réelle. De plus, les spectateurs ont de l'empathie pour le personnage et comprennent mieux pourquoi il a agi de la sorte. Cela permet également aux metteurs en scène de prendre position. On peut alors citer Thomas Jolly qui déclare dans une interview[2] : « Le théâtre est politique ou il n’est pas théâtre ».« Je crois beaucoup à ça. Si on regarde un peu son histoire, il a été fondé il y a plus de 2500 ans par les Grecs, qui l’ont utilisé comme un outil politique au sens de « polis » la cité, c’est-à-dire un élément fédérateur. [...] Je crois même qu’il y avait des amendes pour ceux qui ne s’y rendaient pas. C’était obligatoire : c’est bien que le théâtre est un élément constitutif des sociétés. Donc il me semble être aujourd’hui l’outil le plus adéquat par rapport à ce qu’on traverse.»

Mais cela suscite également une réflexion sur aujourd’hui et une actualisation des pièces. La société peut ainsi réfléchir à la manière d’agir au mieux. On peut alors citer la mise en scène de Thomas Ostermeier pour la pièce L'ennemi du peuple, d’Henrik Ibsen, à la Schaubühne. À un moment, le jeu s’arrête pour faire place à la réalité : une discussion est lancée et les spectateurs débattent avec les comédiens. Par ailleurs, Thomas Ostermeier choisit de monter certaines pièces pour parler la montée du nazisme, afin que l’on comprenne comment c’est arrivé et que l’on ne recommence pas les mêmes erreurs. Joël Pommerat, avec Ça ira (1) Fin de Louis, a une toute autre envie, il ne dénonce pas, il veut juste que le spectateur comprenne le processus qui a mené à la Révolution. Ainsi, il déclare, interviewé par Marion Boudier[3] : « Rendre le passé présent n’est pas tout à fait la même chose qu’actualiser, c’est mettre le spectateur dans le temps présent de l’événement passé. Le spectacle ne construit pas de clins d’œil ou d’analogies avec l’époque actuelle, même si je suis évidemment conscient des nombreux échos possibles entre hier et aujourd’hui. ».


Et les metteurs en scène ont plusieurs possibilités pour mettre en scène l’Histoire.

La mise en scène passe en effet par le choix du thème, de la pièce ou encore des comédiens. Certains décident d’adapter des romans. C’est le cas, par exemple du livre de Lina Prosa Lampedusa Beach, mis en scène à la Comédie-Française en 2012-2013. Le metteur en scène a aussi fait un choix particulier quant aux actrices : il a décidé de prendre des comédiennes blanches pour jouer des migrantes qui ne le sont pas forcément. Christian Benedetti[4] explique ce choix en déclarant que « ce procédé de distanciation permet peut-être d’éviter le piège d’une l’illustration pure de l’expression d’une douleur, et de mettre en avant celle d’une pensée très précise. L’actrice ne peut pas incarner cette histoire : elle la met à disposition. Elle essayera de rendre compte, de la façon dont, tout à coup, pour nous autres Occidentaux l’émergence d’une conscience politique peut faire changer les choses et comment notre regard peut se déplacer, nous faire voir les choses autrement. L’actrice n’est pas le tableau, elle est le doigt qui montre le tableau. » Ce n’est pas le seul metteur en scène à avoir cette idée. Ainsi Lucie Berelowitsch a choisi de faire jouer les Dakh Daughters – groupe de punk ukrainien - dans sa mise en scène d’Antigone d’après Sophocle et Bertolt Brecht, car cela permet aux spectateurs de voir comment était le théâtre dans l'Antiquité, où le chœur chantait et dansait. Elle veut un rapprochement avec l’actualité pour évoquer le conflit russo-ukrainien car les Dakh Daughters ont participé à l'Euromaïdan[5]. D’ailleurs, le message que veut faire passer Lucie Berelowitsch se dévoile aussi par le choix de la pièce : on voit une forte opposition entre deux personnes qui ont des avis différents et, ces personnes se démarquent également : l’une semble avoir le pouvoir par rapport à l’autre.

En outre, certains metteurs en scène sont aussi auteurs et écrivent par rapport à des improvisations ou des souvenirs. C’est le cas notamment Ça ira (1) Fin de Louis de Joël Pommerat, des Idoles de Christophe Honoré et des Démons, adaptation du roman de Dostoïevski mis en scène par Sylvain Creuzevault. Pour écrire de telles pièces, il y a une recherche sur l'époque, grâce à des archives vidéo, audio... Mais quand l’écriture part de documentation, on remarque deux manières différentes de travailler. Joël Pommerat a demandé de s'informer sur toute la Révolution Française à ses comédiens et surtout à la dramaturge Marion Boudier[6] qui explique qu’elle a recherché des vidéos, des spectacles, et qu’elle a travaillé avec un historien : « Heureuse coïncidence, quelques semaines plus tard, la Bibliothèque nationale de France et l’université de Stanford ont mis en ligne les "archives numériques de la Révolution française" : il s’agit principalement des quatre-vingt-deux volumes des Archives parlementaires. C’est une source essentielle que nous avons beaucoup utilisée pour certaines scènes tout en la complétant avec des correspondances de députés, des extraits de presse, des journaux intimes et autres prises de position orales ou écrites. ». Quant à Christophe Honoré[7], il a demandé à ses comédiens d’étudier la vie du personnage qu'ils jouaient : « Chaque comédien travaille dans un premier temps de son côté sur le personnage, lectures personnelles, intuitions, puis au premier jour des répétitions, je partage avec eux ce que j’ai pu moi-même collecter autour d’une suite de sujets. L’idée étant toujours d’interroger des évènements ou des existences antérieures, en espérant qu’ils se révèlent intemporels, je fixe comme règle que nous nous devons de traiter la vérité comme un mystère. Ensuite vient le temps des retranscriptions puis débute pour moi le travail d’écriture... Un livret se compose peu à peu. Il tisse des paroles inventées par les comédiens, des extraits d’œuvres originales et ma propre écriture, qui tente non pas de lisser l’ensemble, mais au contraire qui s’obstine à̀ faire advenir une langue impure, tremblante et je l’espère vivace. [...]Tenter que le texte soit le lieu d’une vie revécue. » Ainsi, on voit que la dramaturgie est essentielle dans ce type de mise en scène. Sans recherche sur le sujet, il n’y aurait pas de pièce.

Mais, pour écrire, tous deux (Joël Pommerat et Christophe Honoré) s’aident des improvisations réalisées par les comédiens et qu’ils ont filmées. « Joël Pommerat a parfois demandé à visionner la captation vidéo de certaines répétitions pour réactiver des sensations ou finir de comprendre ce qui fonctionnait dans une pièce »[8]. Il est intéressant de voir que même pour écrire leur pièce, les auteurs-metteurs en scène fassent appel à leur présent et à ce qu’ils ont vu.


En conclusion, si l'on met en scène l'Histoire, c'est pour parler d'une époque en particulier, l'actualiser et donner la parole à ceux que personne n'écoute : Thomas Ostermeier[9] , suite à la représentation de sa mise en scène de Woyzeck de Georg Büchner au festival d’Avignon déclare qu’il « souhaite faire entrer les « sans-voix » dans la Cour d’honneur, [car il] espère pouvoir donner la parole aux porteurs d’espoirs. »


[1]Extrait du programme 2016-2017 de la Comédie-Française pour Les Damnés p.13

[4]Extrait du programme 2012-2013 de la Comédie-Française pour Lampedusa Beach

[5]Nom donné aux manifestations pro-européennes en Ukraine, ayant débuté à la suite de la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d’association avec l’Union européenne.

[6]Boudier, Marion. Avec Joël Pommerat, tome II, « L’écriture de Ça ira (1) Fin de Louis ». Actes Sud-Papiers, 2019. 176 p. ISBN 978-2-330-11881-5 ; page 61.

[7]Extrait du programme 2018-2019 de l’Odéon pour Les Idoles.

[8]Boudier, Marion. Avec Joël Pommerat, tome II, « L’écriture de Ça ira (1) Fin de Louis ». Actes Sud-Papiers, 2019. 176 p. ISBN 978-2-330-11881-5 ; page 123.

 
 
 

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