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Data Mossoul, Joséphine Serre

  • Adonide
  • 22 sept. 2019
  • 4 min de lecture

Jusqu’au 12 octobre 2019, au petit théâtre de la Colline, Joséphine Serre met en scène le texte qu’elle a écrit : Data Mossoul.

Sur le site du théâtre, on nous explique qu’à « la façon d’un kaléidoscope, Data Mossoul met en scène une ingénieure du web privée d’une partie de sa mémoire, un bibliothécaire collectant les écrits d’anonymes, une archéologue à Mossoul sauvant des tablettes d'argile millénaires des destructions de Daesh et le roi-scribe assyrien Assurbanipal. Évoluant dans ces strates de géographies, d’époques et de civilisations, ces quatre personnages sont liés par la notion de conservation des récits et de transmission de l’Histoire. Avec, en filigrane, la figure de Gilgamesh, roi mythique sumérien dévoré par le désir de trouver l’immortalité et héros du premier récit de l’histoire de l’humanité.

Data Mossoul interroge la puissance de l’écriture dans son rapport à l’intime, mais aussi à la mémoire, aux civilisations, au temps, à l’autre, à la vie, à la mort et à l’absence. La confusion entre informations et vérité, la prolifération des images, le cheminement vers ce qu’on pourrait appeler une privatisation de la mémoire sont autant de thèmes brûlants que Joséphine Serre explore dans les méandres de ce voyage sur l’écriture, ou la réécriture de l’Histoire. » C’est donc une pièce tout à fait actuelle qui amène à réfléchir à des questions existentielles.

Même si de temps en temps je voyais quelques similitudes avec Tous des oiseauxde Wajdi Mouawad, pièce qui tourne autour d’un attentat à déjouer et qui est en rapport avec les œuvres d’arts, il faut avouer que ces deux pièces n’ont rien à voir. Mais ces deux pièces m’ont particulièrement touchées.


La mise en scène est tout à fait adaptée à la pièce, preuve pour tous ceux qui pensent qu’un auteur ne peut pas mettre en scène sa propre pièce, que c’est une idée fausse. Joséphine Serre, en plus d’avoir écrit une pièce très intéressante, crée une mise en scène dynamique qui aide à comprendre la pièce. Elle s’implique encore plus dans cette pièce en interprétant le rôle central de l’archéologue. Preuve de ce que je viens de dire : la pièce dure trois heures, je ne me suis pas ennuyée.

Le dynamisme de cette pièce se fait à travers la musique, très contemporaine, mix d’électro et de pop. La pièce en elle-même est dynamique : on change souvent d’espace, d’époque, de genre et pourtant on ne se perd pas, on comprend tout. Ainsi, personne n’est perturbé de passer de l’année 2025 à l’année 2014 puis en 612 avant Jésus-Christ. La mise en scène utilise intelligemment la projection : on voit des codes data, les années… Joséphine Serre se sert habilement des capacités qu’elle a !

Même si je ne suis pas intéressée par le codage, j’ai assez bien compris le principe des ordinateurs quantiques et je suis ravie d’avoir pu en apprendre plus sur le sujet.

À travers une émission télévisée, dont le public est classé sur le volet : des cancéreux, des personnes de plus de 60 ans, des maniaco-dépressifs (j’attends toujours de savoir dans quelle catégorie je suis…), nous apprenons que l’entreprise Geolog est proche de nous faire accéder à l’immortalité, grâce à son projet « enkidu ». Ce nom est tiré de la mythologie : le roi Gilgamesh, dans sa quête de l’immortalité, rencontre Enkidu. Ils deviennent inséparables mais Gilgamesh ne découvre pas le secret de l’immortalité. Si vous voulez en savoir plus sur ce mythe, je vous conseille ce site, bien que ce soit un peu désagréable à lire, avec son fond jaune.

Cette pièce parle aussi aux personnes engagées dans l’écologie : la conservation des data étant trop polluantes, l’entreprise Geolog demande à Mila Shegg (Edith Proust) de supprimer tous les sites obsolètes, considérés comme fake news, etc. Mais comment décider quel site il faut supprimer ? Certaines pages sont rarement consultées et/ou anciennes mais comportent des informations précieuses. Peut-on se permettre de les supprimer ?


Je pense que Joséphine Serre explique ça bien mieux que moi. Ces propos ont été recueillis par Fanély Thirion en juin. Vous pouvez retrouver l’intégralité de ce qu’elle dit dans le programme.

Mais aujourd’hui avec les forces qui sont les miennes, celles du théâtre, je m’adresse à mes contemporains pour mettre en lumière et en voix le processus de privatisation de la mémoire aujourd’hui à l’œuvre, la place des lanceurs d’alerte et l’urgence dans laquelle nous nous trouvons. Il me semble qu’il est temps de modifier collectivement nos imaginaires et de nous mettre en chemin vers une autre vision du monde. Aujourd’hui nous sommes entrés dans l’ère de la privatisation de la mémoire. Nos données, nos fichiers, nos photos appartiennent désormais majoritairement à Google via les clouds, les objets connectés, les Dropbox. Le service public devient marchand et notre mémoire nous échappe, y compris notre propre biographie. J’ai l’intuition que dans la société mondialisée dans laquelle nous vivons, les lanceurs d’alerte, les hackers ont trouvé un espace de résistance possible, un médium puissant de désobéissance civile. Comme le dit Patrick Boucheron, historien médiéviste, nous sommes à la fois confrontés à la peur de la prolifération des données et à la peur de l’oubli. Le big data en est l’exemple criant. Qui écrit l’Histoire ? Comment et pourquoi retenir telle ou telle information pour l’archiver ? Qui sont les dépositaires de nos histoires ? Les grands groupes privés ? Les États et gouvernements qui réécrivent les récits historiques à leur guise ? À qui confier la responsabilité d’effacer les exaoctets (milliards de milliards d’octets) de données stockées dans les centres data du monde entier ?  

Bref, je pense que vous l’avez compris, j’ai adoré cette pièce et je vous la recommande absolument !

Pour finir : une citation de la pièce.


– Quand les déluges auront cessé, quel monde émergera ?
– Il y a seulement, au ras del’horizon, une longue lignede bleu, et la clarté́ s’élargit.Et nous remarquerons la timidité́des arbres.
Joséphine Serre, Data Mossoul
 
 
 

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