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Antigone de Sophocle et Brecht, mise en scène de Lucie Berelowitsch au théâtre de l’Athénée

  • Adonide
  • 27 mai 2019
  • 4 min de lecture

Le spectacle raconte l’histoire de la famille des Labdacides. Dans ce mythe, les fils d’Œdipe et de sa mère Jocaste, Etéocle et Polynice, frères d’Antigone et d’Ismène se partagent le pouvoir sur Thèbes une année sur deux. Polynice, ayant refusé de rendre le pouvoir à son frère, tous deux s’entretuent. Créon, leur oncle, frère de leur mère Jocaste, devient alors le roi de Thèbes et déclare que Polynice ne peut être enterré puisqu’il a provoqué un régicide. Antigone s’oppose à cette idée : elle veut honorer la mémoire de ses deux frères. Contre la volonté du roi, son oncle, elle va alors ensevelir le corps de Polynice, mais se fait démasquer. Créon la punit en la condamnant à mort. Hémon, fiancé d’Antigone et fils de Créon tente d’amadouer son père, mais rien n’y fait. Hémon tente de sauver Antigone en enlevant les pierres de son « tombeau ». Constatant qu’Antigone est déjà morte, il se suicide pour partager son sort. Créon désespéré, se repent, mais trop tard.

La disposition scénographique est frontale - on ne peut faire autrement au théâtre de l’Athénée - cependant, il arrive que des comédiens jouent dans la salle même.

Un groupe de punk ukrainien, les Dakh Daughtersjouent le chœur dans cette pièce. Cela peut nous rappeler les chœurs antiques dans lesquels les comédiens chantaient, dansaient et jouaient. En outre, il faut savoir que le spectacle est en ukrainien, russe et français.

On peut alors se demander en quoi ce spectacle paraît intéressant aujourd’hui. Nous verrons tout d’abord pourquoi cette pièce a été montée en russe, puis la manière de représenter la violence.


Si ce texte nous paraît intéressant aujourd’hui, c’est parce que ce qu’il est présenté de manière actuelle. En effet, Lucie Berelowitsch – qui a fait une partie de ses études au Conservatoire de Moscou et qui a rencontré le directeur du théâtre Molodoï de Kiev dans l’idée de construire un projet franco-ukrainien - a décidé de replacer cette pièce dans le contexte du conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie depuis la fin 2013. L’Ukraine est écartelée entre l’Ouest et l’Est, certaines provinces russophones ayant demandé leur rattachement à la Russie, comme la Crimée et le Donbass, ce qui a provoqué la guerre du Donbass. Si Lucie Berelowitsch a fait référence à l’Antigonede Brecht, c’est pour montrer que cette pièce est une pièce universelle dont le thème peut se retrouver à toutes les époques : Antiquité, Seconde Guerre Mondiale, guerre russo-ukrainienne. C’est pourquoi, elle a traduit les textes de Sophocle et de Brecht - qui avait réécrit le prologue dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale - en russe et en ukrainien. En outre, elle a déclaré dans une interview pour le magazine Relikto que, pour elle, les Dakh Daughters sont « des Antigone contemporaines » car elles ont participé à la révolution ukrainienne (Euromaïdan, nom donné aux manifestations pro-européennes en Ukraine, ayant débuté à la suite de la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d’association avec l’Union européenne).

Cette filiation historique d’Antigone se retrouve aussi dans la mise en scène. Il y a des éléments antiques comme le sphinx, qui rappelle le mythe d’Œdipe. L’on voit, au départ, un temple antique, que l’on peut supposer dédié à Hadès, dieu des enfers souvent évoqué dans la pièce, mais ce temple se révèlera plus tard être une église orthodoxe.


Cette pièce se déroule lors d’un conflit, la violence est donc représentée. On ne peut pas répondre à la question des Dakh Daughtersdans leur chanson Lyudyna / Людина : « pourquoi y-a-t’il autant de mal sur terre ? », mais on peut expliquer comment les hommes mettent en place cette violence. Tout d’abord les costumes des hommes de main du roi Créon ne sont pas sans rappeler les habits des terroristes. De plus, ils ont des matraques et des casques. Tout est là pour nous montrer qu’ils sont prêts à agir à tout moment.

Créon incarne la violence, il est toujours au centre de la flaque de sang présente sur scène depuis le meurtre des deux frères. Il se sert de ce meurtre pour atteindre le pouvoir et faire régner sa dictature. Il est prêt à s’opposer à sa famille, à son propre fils. Enfin, il se rend compte qu’il perd le contrôle, il casse alors le plancher avec une hache.

Plusieurs raisons expliquent cette violence, que la metteure en scène dénonce. Pour le comprendre, il faut décrypter les différentes symboliques de la mise en scène. Au début, quand l’un des frères se lave les mains après avoir tué son frère, on voit que ses mains sont encore plus ensanglantées, c’est un signe de culpabilité. Comme il ne peut pas ressusciter son frère, il se tue, la violence naît donc de cette culpabilité. Cette violence est aussi liée à l’incompréhension : Créon refuse de croire son fils, lorsque celui-ci lui dit que le peuple est contre le fait qu’il condamne Antigone à mort. Il ne contrôle plus la situation, il est seul face aux autres. Il se décide alors à utiliser sa puissance pour montrer qu’il est le roi, qu’on l’admire et le respecte.

En mettant en scène cette violence, Lucie Berelowitsch dénonce plusieurs choses. Tout d’abord, l’injustice de cette condamnation à mort : Antigone veut juste faire le deuil de sa famille. Pour elle, l’Etat est moins fort que les dieux qui ont voulu que cette famille soit comme elle est. Ainsi, il lui faut faire son deuil. De plus, Antigone est encore une enfant, comme le montre les jouets présents sur scène au début de la pièce. Mais Créon veut la faire grandir trop vite, en la tuant, c’est pourquoi il donne un coup de pied aux jouets, qui ne sont plus d’utilité pour Antigone. Elle dénonce aussi le fait que les femmes soient considérées comme inférieures aux hommes, comme le montre cette phrase prononcée par Créon lorsqu’il parle avec son fils : « ne souffrons pas qu’une femme nous commande ». Mais Hémon lui montre qu’il vaut mieux sauver une femme, que d’écouter un dictateur qui n’en fait qu’à sa tête.


Finalement cette pièce se finit sur la folie des personnages qui portent des masques d’animaux, masques que nous retrouvons dans le clip de la chanson Lyudyna /Людинаdes Dakh Daughters. Cette mise en scène n’est pas la seule à utiliser cette pièce pour parler de conflits. On peut en effet citer Antigone 82 (dont on peut trouver une critique sur ce blog), adapté du roman Le quatrième mur de Sorj Chalandon et qui a été joué au théâtre de l’Épée de Bois du 10 janvier au 3 février 2019. Ce roman parle d’un metteur en scène qui veut monter Antigone en pleine guerre du Liban.

 
 
 

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